L’idée de départ était d’aborder la matière texte par le son. Comme pour les tragédies antiques, il existe dans cette écriture des envolées, des moments de « chant ». Des moments où, lorsque le fait ou l’affect devient trop fort, trop vibrant, indicible, les personnages trouvent un autre mode d’expression.
Sur le plateau, lorsque le verbe ne suffit plus à cracher le cœur, la puissance de la musique rock-électro jouée en live prend le relais. Les voix sont poussées par les micros (le chuchotement est un cri comme un autre), les corps se mettent en mouvement, entrent dans la danse. Le théâtre chancelle alors vers l’espace du concert.
Sans personnage défini, sans séquence déterminée, loin du texte de théâtre classique, les pièces de Rodrigo García sont souvent des monologues où l’objet (produits manufacturés), la substance (soda, drogue), l’image (grands écrans, télévision) fabriquent le show.
Pour échapper à cette vision performative du théâtre de García, l’objectif de la mise en scène a été de prendre de la distance pour dépasser la dénonciation univoque (de la société, de la consommation) et le seul spectacle de la violence présents dans « Agamemnon ». C’est dans cette distance que l’imagination et l’engagement du spectateur trouveront pleinement leur place.
Pour cela, il a fallu déconstruire le texte, passer du récit parlé d’un conteur singulier (sans en oublier les particularités), à une forme plurielle, à quatre personnages. Le code comique s’est ainsi imposé, pour suivre ces personnages dans leurs émotions : être touché, en rire (on rit toujours du malheur des autres) et finalement suivre leur parcours initiatique, effectuer avec eux ce chemin politique.
Un monde s’imposait alors : celui des figures du théâtre. Ces caractères grossis et larges, ces archétypes, qui en nous ressemblant nous rassemblent, mettent en relief la singularité de chacun d’entre nous. Tout le monde et chacun s’y retrouve.
Caricature, dessin animé, BD ; autant de mots d’aujourd’hui ; mais ici c’est juste la tradition théâtrale qui perdure par ces codes, nécessairement, utilement, activement.
Après avoir travaillé à la mise en scène de classiques (« Lucrèce Borgia », « Ajax », « Dom Juan »), retrouvé l’actualité d’un Victor Hugo, d’un Sophocle ou d’un Molière, aborder un texte de Rodrigo García, c’est faire le chemin inverse. Montrer la poésie humaine dans cette écriture crue, rendre sa mémoire à une écriture si follement contemporaine ; provoquer un appel de sens.